Les ressortissants d’Afrique subsaharienne vivant en Tunisie sont confrontés à des agressions et des violences de toutes sortes depuis quelques jours. La négrophobie est omniprésente et la déclaration du président tunisien, qui évoque un remplacement de la population au profit des Africains noirs, a exacerbé les tensions.
Tout aurait commencé par l’assassinat d’une ressortissante ivoirienne perpétré par un groupe d’Africains subsahariens. Selon des publications relayées sur les réseaux sociaux, les malfrats, au nombre de quatre, auraient froidement ôté la vie à cette mère qui avait un enfant en bas âge, avant d’être appréhendés par les forces de l’ordre. Mais ces événements dramatiques vont donner lieu à une chasse aux immigrés noirs qu’on accuse de semer l’insécurité dans le pays, comme l’illustre la réaction de l’ambassadeur de Tunisie en République du Congo, qui commente la déclaration du président tunisien : « Je ne comprends pas l’acharnement de certaines personnes sur les réseaux sociaux envers la Tunisie jusqu’à présent. Car un pays et son gouvernement doivent protéger leurs ressortissants. (…) Il y a un grand nombre d’immigrés qui viennent en Tunisie depuis quelque temps et qui sèment la terreur. (…) Il y a un phénomène d’afflux massif d’immigrés clandestins. (…) », indique-t-il.
Mardi 21 février, lors d’une réunion du conseil national de sécurité, le président tunisien, Kaïs Saïed, a dénoncé un complot et estimé que la démographie de son pays est en train d’être transformée par ce déferlement d’immigrés. Selon lui, « il existe un arrangement criminel préparé depuis le début du siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie et (…) il y a des partis qui ont reçu une grosse somme d’argent après 2011 pour installer des immigrants illégaux d’Afrique subsaharienne en Tunisie ». Toujours d’après Kaïs Saïed, « ces vagues d’immigration irrégulière qui ont suivi ont pour but de considérer la Tunisie comme un pays africain » et non pas comme un pays « appartenant aux nations arabes et islamiques ». Il a appelé à prendre des mesures urgentes pour faire face à l’arrivée en Tunisie d’un grand nombre de migrants clandestins en provenance d’Afrique subsaharienne. Ces propos ont été qualifiés de « fascistes » et ont suscité une vague d’indignation.
En effet, depuis quelques années, la Tunisie est devenue une terre de transit pour les candidats à l’immigration clandestine qui cherchent à tenter leur chance en Europe en voyageant par la mer, dans des embarcations de fortune, au risque de leur vie. Cette situation a accentué le racisme anti-noir déjà présent dans la région du Maghreb. Il n’y a pas si longtemps, la chaîne de télévision américaine CNN a dévoilé une tragédie qui se déroulait sur le sol africain : des migrants subsahariens, en route pour l’eldorado européen, étaient victimes d’un traitement inhumain en Libye, où ils étaient vendus comme esclaves.
La persistance de la négrophobie au Maghreb n’est pas un fait anodin. Elle a une longue histoire. Selon une publication de Célia Sadai, intitulée « Racisme anti-Noirs au Maghreb : dévoilement(s) d’un tabou », parue dans la revue Hérodote, n°180, « Le racisme au Maghreb (…)ne peut être appréhendé qu’en prenant la pleine mesure des effets que des siècles de traite arabo-berbère ont eus, d’autant que des pratiques voisines perdurent en Mauritanie et en Libye, comme l’ont révélé en 2017 les images des journalistes de la chaîne CNN. Des travaux comme L’Afrique noire précoloniale de Cheikh Anta Diop [1987], portant sur cette histoire faite de razzias, de déportations massives et de pratique systématique de la castration par les négriers arabo-berbères, nous rappellent que cette immense entreprise de déshumanisation ne s’est pas faite sans résistances et nous aident à comprendre la persistance d’une négrophobie systémique au Maghreb. »
La sortie du président tunisien, fortement critiquée pour son caractère raciste, a encouragé les violences contre les étrangers d’origine subsaharienne. En conséquence, certains pays ont commencé à rapatrier leurs ressortissants qui le souhaitent, car le nombre d’agressions a augmenté depuis cette déclaration. L’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie a recommandé aux personnes d’origine subsaharienne de rester chez elles, par mesure de sécurité, au moins jusqu’au 6 mars 2023. De son côté, Moussa Faki Mahamat, le président de la commission de l’Union africaine, a fermement condamné « les déclarations choquantes faites par les autorités tunisiennes contre leurs compatriotes africains. » Il rappelle à tous les pays, en particulier aux États membres de l’Union africaine, « qu’ils doivent honorer les obligations qui leur incombent en vertu du Droit International et des instruments pertinents de l’Union Africaine, à savoir traiter tous les migrants avec dignité, d’où qu’ils viennent, s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes, et accorder la priorité à leur sécurité et à leurs droits fondamentaux ». Moussa Faki Mahamat a également réitéré « l’engagement de la Commission à aider les autorités tunisiennes à résoudre les problèmes de migration et à rendre la migration sûre, digne et régulière.»
Le gouvernement tunisien a réagi à ce discours en publiant un communiqué samedi 25 février par le biais du ministère des Affaires étrangères, de l’Immigration et des Tunisiens à l’étranger, qui s’est dit « surpris par la déclaration de la Commission de l’Union africaine sur la situation de la communauté africaine en Tunisie » et a rejeté « les déclarations et accusations sans fondement ».
Des manifestations ont eu lieu à Tunis ce même jour pour protester contre le racisme et demander des excuses de la part du président Kaïs Saïed à l’endroit de la communauté noire. Des internautes tunisiens et des ONG ont également exprimé leur solidarité aux migrants et ont dénoncé le racisme dans le pays.
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