Mme Mariatou Koné, ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation, a annoncé l’introduction des langues maternelles dans le système éducatif ivoirien, au cours d’un symposium sur l’enseignement bilingue en Côte d’Ivoire, lundi 25 avril 2022, au Centre National des Matériels Scientifiques, à Abidjan.
La réunion, qui a rassemblé les participants autour du thème : « Améliorer la qualité de l’éducation par l’enseignement bilingue : état des lieux et actions pour l’avenir », a été l’occasion pour la ministre de souligner l’intérêt que son pays porte à l’enseignement des langues africaines. « Par notre présence à ce symposium, nous sommes conscients de participer à l’écriture d’une nouvelle page pour l’enseignement bilingue (langue nationale/français) dans notre pays. Malgré les apparences, le bilinguisme est la source d’un inestimable trésor parce que nos enfants ont de ce fait un rapport avec le monde qui s’enrichit de la diversité de nos repères linguistiques et culturels », a-t-elle signifié.
Le 3 juillet 2019, la Côte d’Ivoire a ratifié la charte de la renaissance culturelle africaine. Le texte, écrit sous l’égide de l’Union Africaine, préconise entre autres l’apprentissage des langues africaines. « Les États africains reconnaissent la nécessité de développer les langues africaines afin d’assurer leur promotion culturelle et accélérer leur développement économique et social. À cette fin, les États africains s’attacheront à élaborer et mettre en oeuvre des politiques linguistiques nationales appropriées. Les États africains devront préparer et mettre en oeuvre les réformes nécessaires pour l’introduction des langues africaines dans les cursus d’éducation. À cette fin, chaque État devra élargir l’utilisation des langues africaines en tenant compte des impératifs de la cohésion sociale, du progrès technologique et de l’intégration régionale et africaine. », mentionnent les articles 18 et 19 de la charte.
Selon Mme Mariatou Koné, la langue maternelle structure la personnalité de l’enfant à l’âge scolaire. « C’est pourquoi il serait absolument inopérant de construire une stratégie pédagogique qui ne s’appuie pas d’abord sur les acquis de l’environnement socioculturel de l’apprenant à travers l’utilisation du médium qu’est sa langue maternelle », a-t-elle argumenté, avant de poursuivre : « L’introduction des langues nationales dans l’éducation de base est donc une belle initiative dont nous nous félicitons. Je voudrais donc remercier toutes les organisations qui ont contribué à la mise en œuvre de l’enseignement bilingue en Afrique et dans notre pays. Je pense d’abord aux pionniers de l’enseignement bilingue dans notre pays depuis les années 1980, avec le Projet Nord du Professeur Khaled Aït Hammou, chercheur de l’Institut de Linguistique Appliquée (ILA) à Lataha, ainsi que l’ONG « Savane et Développement » du Professeur Saliou Touré, dans les années 1990 à Kolia. »
Le Projet École Intégrée est une structure du ministère de l’Éducation nationale, qui a été créée par arrêté ministériel, le 13 novembre 2001. Il s’inspire de l’ONG « SAVANE ET DÉVELOPPEMENT », qui a initié l’enseignement en Malinké et en Sénoufo, au centre scolaire intégré de Niéné (CSIN), à Kolia, dans le département de Boundiali. L’expérience a ainsi montré que l’enfant qui maîtrise sa langue, apprend vite et mieux en français.
La création des PEI vise donc à « optimiser la réussite scolaire en milieu rural, relever le niveau scientifique des apprenants, pré-professionnaliser l’éducation des enfants par l’organisation d’activités de production et culturelles dans le cadre des coopératives, former les parents des apprenants pour en faire des répétiteurs améliorés, contribuer au développement et à l’enrichissement des langues maternelles pour la pérennisation de la culture ivoirienne en offrant des programmes éducatifs axés sur les coutumes du terroir, les danses et autres formes d’arts de la Côte d’Ivoire. »
Les phases pilote ont mis en route deux programmes d’enseignement, PEI (Projet École intégrée) et ELAN (École en langues nationales en Afrique). On recense à ce jour 37 écoles dont 22 pour le Projet École Intégrée (PEI) et 15 pour l’Initiative ELAN-Afrique Côte d’Ivoire, avec 10 langues représentatives des quatre grands groupes linguistiques.
Ido Yao, le directeur du bureau international de l’éducation de l’UNESCO, relève qu’ « Il a été démontré que quand un enfant commence l’école avec sa langue maternelle, il a de meilleurs résultats. » Selon lui, l’introduction des langues maternelles dans le système éducatif va donc contribuer à former des citoyens enracinés dans leur culture avant de s’ouvrir sur le reste du monde.
Abondant dans le même sens, Joseph Yapo Bogny, qui intervenait sur la chaîne NCI, affirme qu’« aucun peuple ne s’est développé à partir d’une langue étrangère ». Ce professeur en sciences du langage ajoute que « la langue maternelle a une influence sur l’apprenant. »
Aussi, pour la ministre Mariatou Koné, « Il est important de marquer un arrêt pour prendre du recul et faire le diagnostic du chemin parcouru, afin de corriger les insuffisances et rectifier le tir pour l’avenir ». De fait, ces langues ont été utilisées pour la phase expérimentale de ce projet soutenu par le Bureau International pour l’Éducation de l’Unesco (BIE).
La renaissance culturelle est l’un des piliers de l’idéal panafricain porté par l’Union Africaine. Développé à partir de 1946 par le savant Cheikh Anta Diop, ce concept a pour objectif la réappropriation par l’Afrique de son patrimoine historique et culturel, qui a été durement saccagé durant des siècles de traite négrière, d’esclavage et de colonisation. À cet égard, le professeur Moléfi Kété Asanté précise que « l’Afrique n’a pas pour vocation de devenir l’Europe. L’Afrique doit redevenir l’Afrique. » C’est dans le même ordre d’idées que l’ancien président Sud-africain, Thabo Mbeki, a fait de la renaissance culturelle de l’Afrique son cheval de bataille pendant son mandat.