Avec 2,5 milliards d’habitants estimés en 2050, le continent africain doit se lancer de toute urgence dans la construction d’infrastructures, selon les conclusions d’un rapport de l’OCDE et du Centre africain pour la transformation économique (ACET). Un défi opérationnel, technique, humain mais aussi financier, dans un continent où les budgets peinent à être libérés et les projets tardent à se concrétiser.
Le manque d’infrastructures est un frein au développement socio-économique du continent
Le rapport de l’OCDE, « Des infrastructures de qualité pour l’Afrique du 21e siècle », pointe sévèrement du doigt la faible dotation du continent en infrastructures de qualité. Selon l’étude, entre trente et quarante ans peuvent s’écouler entre la conception d’un projet et son achèvement. Une temporalité qui, à la livraison, ne permet bien souvent pas au projet d’être adapté aux besoins et aux attentes des populations. Et laisse encore aujourd’hui le continent dans une faiblesse infrastructurelle catastrophique. Selon les données de l’OMS, seuls 32 % des foyers africains ont un accès à l’électricité, 61 % à l’eau et 31 % à un assainissement de base. « Environ 340 millions d’Africains n’ont pas accès à l’eau potable et un million de vies sont perdues chaque année en raison de maladies d’origine hydrique », souligne ainsi une étude du Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA). Des taux très largement en deçà des standards internationaux et qui grèvent fortement le développement socio-économique du continent. Le manque d’infrastructures apparaît d’ailleurs comme l’une des priorités des opinions publiques africaines, 22 % des répondants de l’Afrobaromètre panafricain issus de 32 pays jugeant les travaux d’infrastructures comme une priorité impérieuse, juste derrière le chômage, la santé et l’éducation.
D’un point de vue macroéconomique aussi, le faible stock d’infrastructures pose des problèmes majeurs de développement. En effet, selon la Banque africaine de Développement (BAD), dans un rapport publié en 2013, « combler le besoin en infrastructures pourrait augmenter la croissance du PIB d’environ 2 points de pourcentage chaque année ». Selon la Banque africaine de développement, le manque de financement s’élèverait entre 68 et 108 milliards de dollars chaque année. Un gap budgétaire qui appelle une forte mobilisation du secteur privé.
Plusieurs signaux sont cependant au vert pour les analystes. D’abord, la moyenne d’âge du continent, estimée à 19,6 ans, garantit une main-d’œuvre nombreuse et aisément mobilisable. Ensuite, la plupart des pays se sont dotés de plans stratégiques à long terme accordant une large place aux infrastructures, comme le Plan Sénégal Émergent par exemple, qui vise à faire du pays une puissance économique régionale en 2030. Si les ressources humaines et le volontarisme politique sont là, le manque de financement reste le principal obstacle.
Groupe Forrest, Neoen, Meridiam… : priorité aux PPP
Certes, l’Afrique peut d’ores et déjà compter sur l’implantation de groupes privés, dont l’expertise dans le domaine des infrastructures est aujourd’hui largement éprouvée, ainsi que sur le développement des partenariats publics – privés, dont la multiplication est jugée prioritaire. Ce format est aussi privilégié par la Banque africaine de développement, qui a récemment rendu public son nouveau cadre stratégique pour le développement des partenariats publics privé (PPP) en Afrique, qui aspire notamment à installer un climat propice aux affaires dans ces secteurs. Les PPP ont déjà donné de belles réussites sur le continent.
En RDC par exemple, le Groupe Forrest International, une institution familiale dirigée par George Forrest et l’un des premiers employeurs privés du pays, a été mobilisé sur une grande partie des projets d’infrastructures, dans les domaines du génie civil, de l’électricité ou des bâtiments. Le groupe de George Forrest est notamment à la manœuvre derrière le pont qui enjambe la rivière Lukuga à Nyemba, la construction et l’électrification du boulevard Joseph Kabila Kabange à Kalemie ou encore la réhabilitation de l’Avenue Kasavubu, à Lubumbashi, dans la province du Haut-Katanga. À travers sa filiale énergie, Congo Energy, l’entreprise a pris en charge le préfinancement et la construction de la centrale solaire de Manono (1 MW), dans le Tanganyika, mise en service en mars 2018, dans le cadre d’un PPP avec le gouvernement congolais. Autre entreprise, toujours dans le domaine de l’énergie, le français Neoen, producteur indépendant d’électricité basé à Paris, a ainsi mis en service sa centrale solaire dans le cadre d’un partenariat public-privé avec le gouvernement mozambicain.
Dans le domaine portuaire aussi, les PPP sont à la mode. La conception, le financement, la maintenance et l’exploitation d’un nouveau terminal à conteneurs au port de Nouakchott est le fruit d’un partenariat public-privé entre Arise PCC, Meridiam et la Mauritanie, inauguré en 2021. Le coût, estimé à 278 millions d’euros, a entraîné la création de 2 250 emplois et a permis de voir l’émergence d’un terminal d’une capacité initiale de 250 000 EVP, avec une extension possible à 600 000 EVP. Également né d’un PPP, le nouveau terminal de l’aéroport international d’Ivato à Madagascar, lui aussi inauguré en décembre, a coûté plus de 200 millions d’euros et porte désormais la capacité d’accueil des passagers de 850 000 personnes en 2016 à 1,5 million aujourd’hui.
La corruption, l’un des principaux vecteurs de risque
La pleine mobilisation du secteur privé reste cependant fragilisée par plusieurs freins structurels. Un rapport daté de 2018 pointe du doigt plusieurs problèmes. D’abord la faiblesse des cadres juridiques, réglementaires et institutionnels, perçus comme des obstacles majeurs aux investissements privés dans les infrastructures. De même, l’absence de programmes d’infrastructures bien définis menace la volonté des acteurs privés, qui hésitent à évaluer, développer et élaborer des projets en raison des coûts, des risques et mauvaises perspectives à long terme. La corruption endémique, le mauvais climat des affaires et la mal-gouvernance sont d’autres facteurs de risque. « Les entreprises du secteur privé sont les principales sources de création de la richesse primaire. Tout ce qui fait obstacle à leur déploiement est nuisible pour le développement des économies africaines, la création d’emplois et la lutte contre la pauvreté » déplore ainsi Étienne Giros, dans une tribune publiée sur le magazine L’Opinion.
La corruption surtout, ferait perdre 148 milliards de dollars chaque année, drainés hors du continent, soit environ 25 % du PIB moyen de l’Afrique, selon la secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), Vera Songwe. « Pour un continent qui a désespérément besoin de ressources financières substantielles pour répondre à ses importants besoins de développement, notamment pour combler son énorme déficit d’infrastructures, une perte considérable de ressources financières à travers diverses formes de corruption est certainement quelque chose qui doit être combattu avec force et fermeté », expliquait-elle en 2018. Un ensemble de facteurs que les gouvernements africains doivent s’attacher à combattre pour répondre aux besoins des Africains en matière d’infrastructures.