« L’inclusivité et la justice (…) ne semblent plus être la boussole » de la junte, selon la classe politique guinéenne. Cinquante-huit partis politiques guinéens, dont l’UFDG de Cellou Dalein Diallo et l’UFR de Sidya Touré (mais à l’exception notable du RPG, ancien parti d’Alpha Condé), sont sortis de leur réserve le 9 mars, pour dénoncer « l’humiliation » des responsables politiques par le CNRD, à la tête du pays depuis le coup d’Etat du 5 septembre ayant mis à bas le régime d’Alpha Condé.
Dans une déclaration conjointe, ils dénoncent les dysfonctionnements qui entravent la conduite de la transition. Ces derniers n’hésitent pas à menacer de relancer les appels à la manifestation qui avaient fait trembler le régime d’Alpha Condé, témoignant de la fin de l’état de grâce du régime Doumbouya.
Une opposition toujours plus échaudée par la junte
C’est d’abord le manque de dialogue qui est pointé du doigt. Cellou Dalein Diallo et les signataires dénoncent ainsi « les violations répétées » de la charte de la transition. La durée de la transition fait ainsi l’objet d’un âpre débat entre le CNRD, qui désire conférer la décision au Parlement de la transition, et les leaders civils qui réclament un consensus politique sur ce choix crucial. Pour ces derniers, cette décision doit se prendre « entre les forces vives de la nation et le CNRD », comme le stipule la charte. Nombre de Guinéens se plaignent ainsi des actions récentes de la junte, en opposition à ses déclarations antérieures, à la suite de sa prise de pouvoir.
A cette demande fondamentale, se joignent des récriminations dont l’écho se fait de plus en plus fort dans les rues de Conakry. Semaine après semaine, les mouvements civils comme les membres de ce que l’on doit désormais nommer l’opposition à la junte réclament la publication de la liste complète des membres du CNRD, afin de connaitre l’identité des conseillers du Président Doumbouya, qui refusent toujours de sortir de l’ombre. Ce manque de transparence génère de la méfiance face aux décisions des membres du CNRD. Ces derniers sont accusés d’être aux manettes de la campagne de récupération des biens de l’Etat qui a notamment abouti à la saisie du domicile de Cellou Dalein Diallo et de Sydia Touré. Une décision arbitraire, dénuée de tout fondement judiciaire ou légal, et conduite, à l’instar de toute la campagne, de manière « discriminatoire, violente et en dehors de toute règle et procédure ». A l’origine de cette décision, la Cour de répression des infractions économiques, instaurée par les autorités, que l’opposition décrit comme un « instrument pour disqualifier des leaders politiques gênants ». De même, les appels à la justice pour les morts du coup d’Etat du 5 septembre, peu évoqués par les autorités de transition, se font de plus en plus pressants. Ces derniers, dont le nombre réel n’a jamais été confirmé, pourraient se compter par dizaines, et les partis signataires réclament la création d’une juridiction indépendante pour traiter les crimes de sang.
Cellou Dalein Diallo menace de reprendre le chemin des manifestations
Pour donner plus de force à cette tribune, Cellou Dalein Diallo a pris la parole le 11 mars pour dénoncer les irrégularités de la junte dans sa gestion du pays, comme dans les mesures prises à son encontre. Il en appelle à la venue d’un médiateur de la CEDEAO, afin de définir un chronogramme de retour à l’ordre constitutionnel. Pour lui, la rupture est consommée ; et l’annonce de la tenue d’assises nationales le 22 mars arrive trop tard et représente trop peu.
A défaut de concertation, celui qui a retrouvé sa place de leader de l’opposition est désormais prêt à envisager un retour aux manifestations de rue afin d’accélérer la transition, appelant « le peuple de Guinée à se tenir prêt pour répondre, le cas échéant, aux mots d’ordre qui seront lancés à cet effet ». Une annonce au poids historique, dont le leader de l’UFDG est bien conscient, alors que la répression des manifestations contre le troisième mandat d’Alpha Condé avait abouti à la mort de nombre d’opposants. Le FNDC, mouvement civil d’opposition au troisième mandat d’Alpha Condé, a également appelé le 1er mars au retour des manifestations.
Face au spectre du retour d’une contestation de masse, les autorités ont semblé soudainement prendre conscience des enjeux, puisque le ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation, Mory Condé, a annoncé dès le lendemain de la prise de parole de Cellou Dalein Diallo une réunion des coalitions politiques afin de finaliser la mise en place d’un cadre de concertation.
La junte n’arrive pas à imposer sa ligne
« Force est de constater que la junte s’écarte des règles et des principes de l’État de droit et traîne volontairement le pas dans l’accomplissement des diligences nécessaires au retour à l’ordre constitutionnel » disent les cinquante-huit partis signataires de la tribune. Si l’ensemble des forces politiques guinéennes ne sont pas si promptes à condamner le gouvernement de transition, des voix de plus en plus nombreuses soulignent l’inexpérience des cadres du nouveau régime, et les erreurs répétées de ces derniers dans la gestion de l’Etat. Ainsi, la mise à la retraite de l’état-major militaire, d’une partie de la douane et de la police et d’un certain nombre de cadres de la fonction publique au nom du renouvellement générationnel pourrait, paradoxalement, menacer d’un « trou générationnel » et d’une perte de compétences. De la même manière, la surévaluation des compétences de la diaspora au détriment des capacités bien réelles de la jeunesse guinéenne met en lumière les biais et les limites des autorités nouvellement arrivées.
Nombre des promesses de l’exécutif de transition pèchent par leur imprécision, leur caractère inapplicable ou contradictoire avec d’autres réformes, ou ont déjà été évoquées, sans effet, par l’ancienne administration d’Alpha Condé rapporte le projet LAHIDI, qui collecte l’ensemble des prises de parole de l’exécutif. Le rapport d’évaluation de la mission technique du National Democratic Institute (NDI) publié le 15 mars pointe ainsi une multiplication rapide des faiblesses du régime de transition. Par-delà le manque de représentativité et de transparence du CNRD, le NDI souligne le faible niveau de représentation et d’inclusion des femmes au sein des institutions de transition. Le CNT compte seulement 24 femmes sur 81 membres, tandis que le corps des préfets nouvellement nommés n’en compte aucune. Plus largement, le NDI recommande de « protéger et garantir les droits et libertés des citoyens, y compris la liberté d’expression et le pluralisme des opinions ». Un vœu pieux ? En Guinée, la fenêtre de liberté ouverte par la chute d’Alpha Condé semble en tout cas se refermer rapidement.