Depuis quelques semaines, la presse française se fait le relais d’une rumeur persistante, lancée par le journal Le Monde. Le groupe Bolloré souhaiterait céder ses activités logiques en Afrique. En cause, une concurrence internationale de plus en plus rude et un marché africain toujours plus complexe pourraient avoir raison de l’empire africain de Bolloré. Pour le continent, une cession de la filiale logistique du Groupe Bolloré pourrait rebattre les cartes des infrastructures portuaires africaines, convoitées par plusieurs grandes puissances, dont la Chine.
Les révélations du Monde, datées du 15 septembre dernier, avancent que le groupe Bolloré aurait sondé la banque d’affaires Morgan Stanley, afin de la charger d’identifier d’éventuels repreneurs pour sa branche africaine, Bolloré Africa Logistics. La gestion portuaire africaine est pourtant l’un des fers-de-lance du groupe Bolloré, sa filiale étant présente dans 16 ports africains et employant plus de 20 000 personnes pour un chiffre d’affaires annuels de 2,1 milliards d’euros. Concrètement, les actifs concernés seraient les concessions d’une vingtaine de terminaux portuaires, ainsi que trois lignes ferroviaires opérées par Bolloré sur le continent. Bien que le périmètre global des actifs potentiellement cédés ne soit pas encore confirmé. Aujourd’hui, Bolloré Africa Logistics serait valorisée entre 2 et 3 milliards d’euros et profiterait d’une conjoncture de reprise économique très favorable. Du côté de la direction du groupe, on se refuse pour le moment de commenter des « rumeurs concernant (les activités) transports et logistiques ». Philippe Labonne, directeur général adjoint de Bolloré Transport et Logistics et directeur général de Bolloré Ports, a quant à lui affirmé le 20 octobre dernier que le groupe Bolloré est « en Afrique pour la durée ». Pourtant, la rumeur, largement reprise par les principaux titres de presse français, semble reposer sur des bases solides
Une réputation affaiblie en Afrique
Selon la presse française, plusieurs indices laissent en effet à penser que le groupe Bolloré cherche à faire ses adieux à l’Afrique, où il est implanté depuis 1986. Vincent Bolloré souhaite prendre sa retraite en février prochain, ce qui pourrait bien signer la fin de son aventure africaine, alors même que son fils a d’ores et déjà pris les rênes du groupe. Sa réputation est aussi affaiblie en Afrique, depuis des accusations de corruption nées en avril 2018. En février 2021, il a reconnu s’être rendu coupable de faits de corruption dans plusieurs pays africains en prenant, à ses frais, des prestations de communication réalisées par Havas, l’une des filiales de sa holding Vivendi, dans le cadre des campagnes présidentielles guinéennes et togolaises. Dans l’optique de maintenir au pouvoir des chefs d’État avec qui ils entretenaient de réelles relations de confiance.
Cette affaire a aussi indigné Paris, qui déplore le parfum « Françafrique » de certaines des méthodes de Bolloré. « C’est précisément de cela que nous voulons sortir, en impulsant une nouvelle dynamique, plus équilibrée, comme le prône le président de la République » a précisé, au magazine Challenges, un cadre anonyme du mythique Quai d’Orsay, le ministère français des Affaires Étrangères. Le coup d’État en Guinée, qui a entraîné l’éviction de son vieil ami Alpha Condé, a aussi fragilisé ses relations en Afrique de l’Ouest, où le groupe Bolloré a beaucoup joué sur les relations interpersonnelles nouées avec certains dirigeants africains souvent très contestés.
Rude concurrence internationale
En Afrique, la concurrence est devenue rude. Bolloré Africa Logistics doit en effet se battre avec deux concurrents sérieux. DP World, adossé aux Émirats arabes Unis et China Merchants Group, proche de Pékin et fer-de-lance de son influence économique sur les ports africains. Le premier lui a d’ailleurs chipé la concession du terminal à conteneur du port de Dakar en 2007. Et le second est connu pour ses méthodes agressives. A Djibouti, où DP World a été évincé de la gestion du port de Doraleh, dont il était l’opérateur de longue-date après une décision gouvernementale douteuse et contestée en justice, la gestion du port a été confiée à China Merchants Group. La rupture de contrat serait, selon plusieurs observateurs, la conséquence de l’influence de Pékin à Djibouti, qui « ressemblera de plus en plus à un protectorat économique, politique et militaire de la Chine » dans les années à venir, selon l’expert en géopolitique français Matthieu Anquez.
Du côté de l’Élysée, la perspective d’un départ de Bolloré n’est pas forcément rassurante. D’autant, qu’après Alstom, Lafarge ou encore Technip, le patrimoine industriel et économique français semble peu à peu se déliter du fait d’acquisitions menées par des groupes étrangers. Les autorités françaises pourraient craindre que la vente de l’empire africain du groupe Bolloré marque la conquête, par Pékin, des ports ouest-africains, où Bolloré Africa Logistics est ordinairement très implantée. Sauf si l’armateur français CMA-CGM -3ème plus gros du monde- venait à se porter acquéreur, comme l’annoncent d’ores et déjà les premières rumeurs. Un tel rachat permettrait de maintenir un acteur économique français de premier plan en Afrique de l’Ouest. L’un de ses rivaux, le danois Maersk, se pencherait aussi sur le dossier. Selon le journal économique français Les Échos, une vente tomberait à pic pour le groupe Bolloré. Les taux de fret maritime sont, en effet, aujourd’hui au plus haut et les grands armateurs disposent de très solides moyens financiers.