Le mot est sur toutes les lèvres depuis des années. Mais la « réconciliation » tant souhaitée peine à se réaliser.
En 2001, à l’initiative de Laurent Gbagbo, alors président de la République de Côte d’Ivoire, un « Forum pour la réconciliation nationale » s’est tenu à Abidjan. Le coup d’État militaire de 1999 et la rédaction d’une nouvelle Constitution, pendant la transition militaire, avaient exacerbé les tensions déjà palpables dans le pays. 14 résolutions ont été adoptées après trois mois de débats publics.
Au nombre de celles-ci, le «Maintien de la constitution en l’état», car selon le directoire du forum, « la loi fondamentale a été acceptée par tous les partis politiques et «largement» approuvée par les citoyens, lors du référendum de juillet 2000 . Ainsi, la création d’un «comité de juristes» pour «harmoniser certaines dispositions en vue d’une meilleure compréhension de la loi fondamentale», a été proposée. Par ailleurs, «Au nom de la Nation, au vue des documents qui lui ont été présentés, le directoire du Forum recommande aux autorités judiciaires compétentes de délivrer à monsieur Ouattara un certificat de nationalité conformément aux lois et règlements en vigueur». En effet, les responsables du directoire estiment que «la fracture politique et sociale dont souffre aujourd’hui la Côte d’Ivoire trouve fondamentalement sa cause dans les controverses sur la nationalité d’Alassane Ouattara [et] que la persistance de cette fracture est de nature à compromettre l’unité nationale, le développement économique et social, et l’avenir de la nation.»
Le forum préconise également «l’acceptation par tous des résultats des différentes élections générales et la reconnaissance des pouvoirs publics ivoiriens issus de ces élections, en vue d’une meilleure stabilité» des «institutions républicaine et d’une paix sociale durable», et condamne, en outre, «dans le principe comme dans la forme», le coup d’Etat du 24 décembre 1999, qui avait amené au pouvoir le général Gueï et contraint à l’exil le successeur d’Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié. D’après le rapporteur, les dix mois de transition militaire ont «constitué pour tous une épreuve très dure sur le chemin de la construction de l’unité nationale» et «a engendré une catastrophe politique, économique et sociale».
Au mépris de ces recommandations, en 2002, le pays a connu un coup d’État qui s’est transformé en rébellion armée. En dépit des différents accords signés pour un règlement politique de la crise, la Côte d’Ivoire n’a pas retrouvé la sérénité et les douleurs des nombreuses victimes des conflits qui ont éclaté dans le pays n’ont pas été apaisées.
En 2011, le président Alassane Ouattara crée la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR), pour « œuvrer en toute indépendance à la réconciliation nationale et au renforcement de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire par le biais de mécanismes de justice traditionnelle». Charles Konan Banny a été nommé président.
Mais à en croire un rapport de l’Institut des Hautes Études sur la Justice intitulé « La Commission Dialogue Vérité et Réconciliation ivoirienne : une belle coquille vide ? », « Il n’y a pas eut pas d’accord préalable entre les partis avant sa mise en place. La commission était une volonté du président et son mandat a été fixé par ordonnance (celle du 13 juillet 2011). »
Selon Hélène Calame, chargée de mission de l’IHEJ, et Joël Hubrecht, responsable du programme justice internationale et transitionnelle, qui ont produit ce rapport, « malgré un discours officiel positif sur le travail de la CDVR soutenu par une campagne de communication tonitruante, les mérites qu’on lui attribue sont aujourd’hui beaucoup plus nuancés. Un certain nombre d’erreurs ont été commises tant dans sa conception originelle qu’au cours de son travail. Ainsi, de nombreux observateurs aujourd’hui s’entendent pour affirmer que le travail de réconciliation en Côte d’Ivoire est loin d’être terminé. » Pour les rédacteur de la note, « (…) l’action de la CDVR laisse un goût d’inachevé », car une « Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes » a été créée en mai 2015, pour relayer la CDVR. D’après Affoussiata Bamba-Lamine, la porte-parole adjointe du gouvernement, qui répondait aux questions de la radio Onuci-Fm, jeudi 26 mars 2015, la CONARIV « a pour objet de parachever ce que la Commission dialogue, vérité et réconciliation n’a pas pu faire. Pour l’accomplissement de sa mission, elle dispose aussi de cellule administrative et technique. Les victimes n’ont pas été indemnisées. Donc, il faut continuer de recenser toutes les victimes. Après cette phase, on passera à la phase d’indemnisation. » Depuis 2017, le mandat de CONARIV a pris fin. Les archives de la commission ont été remises au ministère de la Femme, de la protection de l’enfant et de la solidarité.
Quelques années plus tôt, Charles Konan Banny avait présenté à la presse les grandes lignes du rapport de la CDVR qu’il a remis au président de la République, le 21 novembre 2013. Le compte-rendu mentionne entre autres que « le pardon des victimes doit être motivé par un repenti sincère des auteurs des violations des droits de l’Homme », « le pardon n’exclut pas l’action de la justice », parce qu’« il ne peut pas y avoir de repentir si l’impunité persiste. »
Le malaise reste profond, malgré les efforts fournis. Nonobstant la volonté affichée par les autorités ivoiriennes et les leaders politiques de pacifier le pays, la réconciliation prônée peine à se concrétiser. « Si moi, on m’arrête et qu’au bout de quelques années, on me libère en disant que je suis innocent, il faut rechercher avec les autres groupes, il faut chercher à savoir qui a tué », a confié Laurent Gbagbo à la chaîne de télévision ARTE. En décembre 2019, Fatou Bensouda, la procureure de la CPI, a affirmé sur les antennes de la chaine France 24 que « l’enquête sur d’éventuels crimes commis par le camp de l’actuel président (…) se poursuit activement. » Mais Alassane Ouattara a décidé de ne plus transférer les Ivoiriens à la CPI. Le président ivoirien soutient que son pays a désormais une « justice opérationnelle » : « La CPI a joué le rôle qu’il fallait. À la sortie de la crise électorale, nous n’avions pas de justice, le pays était totalement en lambeaux (…) maintenant, nous avons une justice qui est opérationnelle et qui a commencé à juger tout le monde sans exception. Ces procès commenceront très rapidement et je souhaite que ça aille plus vite que la CPI », a déclaré Alassane Ouattara, après une rencontre avec le président François Hollande, le 4 janvier 2016.
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