«Je ferai don de ma personne. […] Je reçois cette demande de candidature comme une mission de salut public». « Je le fais par mission, comme un sacerdoce ». Ce sens du sacrifice, on le doit à Henri Konan Bédié, 86 ans, ancien président de la République de Côte d’ivoire, qui a décidé de se présenter à nouveau à l’élection présidentielle, celle du 31 octobre prochain, après avoir reçu la validation de son parti, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dont il était l’unique candidat.
Volte-face et appel à la désobéissance civile
Celui qui se présente aujourd’hui comme une alternative politique, était pourtant au pouvoir il y a encore deux ans aux côtés d’Alassane Ouattara, l’actuel président sortant. Bédié a en effet placé un certain nombre de responsables politiques dans les affaires du pays. « Je nommais quelques personnes au gouvernement, c’est tout. Nous n’occupions même pas les postes clés» se défend-il dans les médias.
Le 20 septembre dernier, Bédié va plus loin encore et appelle à la «désobéissance civile» face à la « forfaiture » de son rival. En cause : la candidature surprise d’Alassane Ouattara à un troisième mandat présidentiel, après la mort inattendue du candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), Amadou Gon Coulibaly. Une candidature jugée illégale par l’opposition, malgré sa validation par le Conseil constitutionnel.
S’il souhaite sur le papier « restaurer l’État de droit et la démocratie », l’appel de Bédié pourrait, dans les faits, faire basculer la Côte d’Ivoire dans le chaos. La communauté internationale s’en inquiète et tente de tirer la sonnette d’alarme. Le 22 septembre, une représentante de l’ONU appelait les acteurs politiques de Côte d’ivoire à éviter les « discours de haine ».
« C’est l’appel d’un homme désespéré qui n’a aucune offre politique » analyse Adama Bictogo, le directeur exécutif du RHDP. Un vide idéologique qui se manifeste par des arbitrages incohérents : le parti de Bédié, le PDCI, annonçait il y a encore quelques jours sa participation à la commission centrale de la Commission électorale indépendante (CEI), pour finalement ne pas s’y rendre.
Mission de salut public ou destin personnel ?
Pour comprendre les tergiversations du candidat Bédié, il faut remonter au début des années 90. En 1993, Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance, meurt. A l’époque, Bédié est président de l’Assemblée nationale et Alassane Ouattara Premier ministre. Bédié invente le concept identitaire d’« ivoirité », selon lequel une personne est ivoirienne si ses quatre grands-parents sont nés sur le sol ivoirien.
Un critère bien pratique qui permet d’éliminer la candidature d’Alassane Outtara, homme du Nord et présumé d’origine burkinabée, à l’élection présidentielle. « On ne veut pas que je sois président parce que je suis musulman et nordiste » déplorera-t-il à l’époque. L’ivoirité posera par la suite de graves problèmes d’exclusion au sein de la population ivoirienne, notamment à l’égard des immigrés, pourtant protégés à l’époque par Houphouët-Boigny. Finalement élu en 1995, sur la base d’un boycott actif, Bédié restera à peine quatre ans au pouvoir, avant d’être renversé dès 1999 par un coup d’Etat.
« Ce serait me rendre justice »
Aujourd’hui, Bédié verrait son élection à la présidentielle du 31 octobre comme une «revanche». « Ce serait me rendre justice », déclarait-il il y a un an à Jeune Afrique. Bédié n’a jamais digéré le putsch dont il a été victime en 1999. Un « stupide coup d’Etat » déclare-t-il le 12 septembre dernier devant une foule de militants. « Six mots qui disent à eux seuls toute la rancœur gardée par le président déchu de cet épisode de l’Histoire ivoirienne, et tout le sentiment de revanche qui l’habite depuis », résume un journaliste de RFI.
Car la traversée du désert fut longue pour le candidat du PDCI. Dans les années 2000, Laurent Gbagbo est finalement élu et Bédié est obligé de se rapprocher de son adversaire historique… Alassane Ouattara. L’objectif ? Construire une alliance opportuniste, avec la création du RHDP, afin de s’inscrire dans le sillon de son père spirituel (Houphouët-Boigny). Et de faire tomber Gbagbo.
Des alliances qui se font et se défont
« C’est toute l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis les années 1990 : l’équilibre, le fameux triangle, résume le politologue Sylvain N’Guessan. Deux forces politiques s’unissent contre une troisième pour la faire perdre, puis elles se divisent avant de rallier l’adversaire d’alors et ça recommence, avec des alliances qui se font et se défont ».
En 2014, Bédié réitère son alliance stratégique via le pacte de Daoukro, attendant in fine quelques retours d’ascenseurs. Se sentant lésé par Ouattara, il forme une nouvelle alliance d’opposition, dont il se proclame le chef, afin de reprendre le pouvoir à son ennemi historique avec le lancement de la Coalition pour la démocratie, la réconciliation et la paix (CDRP), composé d’une vingtaine de formations politiques.
Ce jour-là, la rupture est consommée et Bédié est décidé à prendre sa revanche. Avant de, pourquoi pas, proposer à nouveau ses services au président sortant, qui a toutes ses chances de remporter à nouveau le duel le 31 octobre.