Alors que le taux de fumeurs va exploser dans les prochaines années en Afrique, les Etats ouest-africains devraient prendre exemple sur ce qui se fait déjà, en matière de traçabilité des cigarettes, pour lutter efficacement contre les méthodes préoccupantes du lobby du tabac.
Alors que les fumeurs ne sont « que » 77 millions sur le continent, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a d’ores et déjà tiré la sonnette d’alarme: ce chiffre devrait augmenter de 40 % par rapport à 2010 d’ici à 2025. Il s’agit de la plus forte augmentation observée à l’échelle mondiale. Celle-ci est due à la démographie galopante que connait l’Afrique – dont la population, établie à 1,3 milliard de personnes aujourd’hui, devrait doubler d’ici à 2050, mais également aux méthodes employées par l’industrie du tabac sur le continent.
« Avec l’augmentation de l’accessibilité des produits du tabac et le marketing agressif de l’industrie du tabac en Afrique, la prévalence du tabagisme a déjà commencé à augmenter, ou devrait augmenter considérablement à l’avenir, estime le média The Tobacco Atlas. Avec ses populations en croissance rapide et son espérance de vie qui s’améliore, l’augmentation du nombre de fumeurs et le vieillissement de la population feront probablement que l’Afrique sera la région qui souffrira le plus du fardeau du tabagisme à l’avenir ».
Juges et parties
Heureusement, certains pays, pour contrer un marché de la cigarettes en pleine expansion, ont mis en œuvre des politiques de lutte anti-tabac assez efficaces, comme le Kenya, l’Île Maurice, l’Ouganda, le Sénégal et les Seychelles. Les trois derniers ont par exemple adopté des lois rendant tous les lieux publics et les lieux de travail entièrement non-fumeurs, avec le Burkina Faso, le Tchad, le Congo, Madagascar et la Namibie. Seul le Sénégal, pour l’instant, a mis en place des programmes de traitement de la dépendance au tabac permettant de faciliter l’abandon de la cigarette.
Le Kenya est l’un des rares pays africains à posséder un système de traçabilité des produits du tabac qui soit indépendant des grandes majors de la cigarette. Le Maroc également fait figure de bon élève depuis 2010 avec le déploiement d’un performant Système automatisé de marquage intégré en douane. Mais de quoi s’agit-il exactement ? « Le suivi et la traçabilité des produits du tabac consistent à déterminer où se trouvaient et se trouvent tous les conditionnements de produits du tabac, comme les paquets, les cartouches, les caisses d’emballage et les palettes, et à enregistrer leur destination, tout au long de la chaîne logistique jusqu’à l’acquittement des droits ou de toute autre obligation », renseigne l’OMS.
S’il existe « une multitude de solutions de suivi et de traçabilité », relève l’institution des Nations unies, les grands producteurs de tabac et de cigarettes, comme Philip Morris International (PMI), British American Tobacco (BAT), Imperial Tobacco Group (ITG) ou encore Japan Tobacco International (JTI) font appel à une « solution maison », le système Codentify, qui leur permet de contrôler l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement. Problème : les majors, juges et parties dans l’histoire, sont largement critiquées pour l’opacité de cette méthode, contraire à celle, plus transparente, appelée de ses vœux par l’OMS.
Marché de contrebande
En Afrique de l’Ouest, certains pays devraient ainsi faire plus attention, lorsqu’ils fourbissent leurs armes pour leur lutte anti-tabac. En Côte d’Ivoire par exemple, tout comme au Burkina Faso, la traçabilité des paquets de cigarettes a été confiée directement à PMI – qui a breveté le système Codentify. Ce choix ne semble pas optimal pour faire diminuer le taux de fumeurs de ces pays, puisque les majors du tabac, grâce à leur système de suivi des produits, n’hésitent pas à inonder le marché parallèle – en 2018, 12 % des 6 000 milliards de cigarettes vendues dans le monde étaient des produits illicites.
La Côte d’Ivoire et le Burkina Faso sont pourtant signataires du protocole de l’OMS, qui prévoit dans son article 8 que tout Etat doit veiller à confier la traçabilité des cigarettes à un groupe indépendant de l’industrie du tabac. Au Burkina Faso, ce raté s’explique par le monopole préoccupant d’Imperial Tobacco Group, qui n’hésite pas à vendre d’anciens paquets au mépris de la loi de lutte contre le tabagisme. Fait évocateur : lorsqu’en 2017, un arrêté a été pris conjointement par les ministres des Finances et du Commerce pour mettre en place le suivi et la traçabilité des produits du tabac, le ministre de la Santé avait été écarté de la signature, laissant le champ libre au lobby des industries.
Ce n’est pas la première fois que les majors du tabac font montre de méthodes agressives pour imposer leurs produits sur le continent africain. British American Tobacco a par exemple été poursuivi pour avoir corrompu des organisations de lutte anti-tabac en Afrique. Dans un rapport sur le tabac dans le monde publié en 2017, l’OMS pointait du doigt le marketing très offensif des industriels, qui n’hésitent pas à surcharger leurs produits destinés au marché africain de substances toxiques et addictives – bien plus, par exemple, que ceux qui se retrouvent sur le marché européen.
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