Côte d'Ivoire et Afrique occidentale
Tabagisme, politiques anti-tabac et commerce illicite : l’heure du bilan

L’Afrique est le nouvel Eldorado des fabricants de cigarettes. Le tabagisme augmente, encouragé par un marketing agressif. L’industrie du tabac n’hésite pas à cibler les populations vulnérables, à infiltrer les gouvernements et à proposer son propre système de traçabilité. État des lieux avec l’ACTA, l’Alliance pour le Contrôle du Tabac en Afrique.

1) Quelle est la consommation de tabac en Afrique de l’Ouest ?

Selon les statistiques les plus récentes du Tobacco Atlas, le taux de tabagisme chez les personnes âgées de plus de 15 ans de sexe masculin est entre 16 et 18% pour la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Niger, de 23% au Sénégal et de 36% au Burkina Faso et au Mali. Pour la population féminine, le niveau est nettement plus bas : entre 0,2% et 4,5% en moyenne sur ces pays-là. Pour les jeunes âgées de 13 à 15 ans, certaines enquêtes mondiales montrent que le niveau peut atteindre 26% en Guinée, garçons/filles confondues.

2) Quel est le coût de cette consommation sur la santé publique ?

Toujours selon le Tobacco Atlas, le nombre de décès liés au tabagisme dans les 7 pays cités ci-dessus est estimé à plus 63 000 chaque année. Le coût économique du tabagisme en Afrique de l’Ouest francophone s’élève à environ 250 milliards de francs pour l’ensemble de ces pays, sauf le Niger. Cela comprend les coûts directs liés aux dépenses de santé et les coûts indirects liés à la perte de productivité due à la mortalité et à la morbidité précoces.

3) Quelles sont les populations les plus touchées ?

Toute la population est ciblée, mais les jeunes et les femmes sont plus vulnérables. Les personnes de sexe masculin âgées de 15 ans ou plus sont les plus touchées par ce fléau. L’industrie du tabac cible surtout les jeunes pour créer de nouveaux fumeurs qui prendront la place de ceux qui vont mourir avec des complications liées au tabagisme. Les jeunes femmes également sont des cibles privilégiées de l’industrie car elles représentent un réservoir potentiel énorme pour l’accroissement de la consommation et l’augmentation de son profit à l’avenir.

4) Comment déjouer les stratégies de l’industrie du tabac pour capter de nouveaux consommateurs ?

Il faut avant tout un cadre juridique pour la mise en œuvre d’une politique anti-tabac globale et efficace qui comporte également une surveillance systématique  de l’industrie du tabac.  Ce cadre juridique implique l’adoption d’une loi conforme à la Convention Cadre de Lutte Anti-Tabac (CCLAT) de l’Organisation Mondiale de la Santé. Un pays qui a ratifié la CCLAT a l’obligation morale et légale de mettre en œuvre les dispositions de ce traité international : interdire la publicité, la promotion et le parrainage ; interdire de fumer dans les lieux publics ; augmenter la taxe sur les produits du tabac ; abolir la vente de cigarettes en détail, les paquets de moins de 20 cigarettes ou les cigarettes aromatisées et électroniques ; interdire la vente autour des écoles ; et éduquer et informer le public. Ainsi, la marge de manœuvre de l’industrie du tabac peut être sensiblement réduite. 

5) Pourquoi certains pays africains plutôt que d’autres ont ratifié le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac ?

C’est une question de volonté politique, elle-même influencée par le puissant lobby de l’industrie du tabac qui représente l’obstacle majeur à la ratification du Protocole par les gouvernements africains. Le commerce illicite est très souvent une initiative de l’industrie du tabac qui cherche à contourner les taxes douanières et augmenter ses profits. C’est pourquoi le Protocole représente une menace majeure à la rentabilité de cette industrie. Nous ne devons pas être surpris de la voir se battre contre ce protocole et proposer son propre système de suivi et traçabilité connu sous le nom de Codentify, qui a des failles qui lui permettent d’échapper aux contrôles strictes proposés par le protocole de l’OMS. L’industrie du tabac est très engagée auprès des décideurs politiques africains pour les convaincre d’adopter son système de suivi et traçabilité. La presse a un rôle à jouer. Elle a le devoir de dénoncer de pareilles tentatives qui vont à l’encontre de l’intérêt général.

6) Pourquoi des pays africains (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Tchad) ont ratifié le traité et pris des engagements pour lutter contre le commerce illicite tout en continuant à avoir recours à Codentify, le système de traçabilité des cigarettes lié à l’industrie du tabac ?

Cela est dû en grande partie à l’ignorance des représentants du gouvernement et à l’ingérence de l’industrie du tabac. Les gouvernements peuvent avoir la volonté mais pas la compétence de mettre en œuvre certaines mesures. Lorsqu’ils s’engagent, ils sont ouverts à toutes les propositions. L’industrie du tabac profite de cette situation pour convaincre les responsables politiques d’adopter Codentify. C’est un domaine où la vigilance est absolument essentielle. La société civile et la presse doivent constamment surveiller les agissements de l’industrie. Au Tchad, le lobby du tabac a réussi à introduire Codentify dans le circuit des gouvernements. La société civile l’a découvert et a agi rapidement. Grâce à cette vigilance, Codentify a été exclu au moment où il allait être confirmé comme système officiel de suivi et de traçabilité du tabac.

7) Quel est le rôle des associations, ONG, et de la société civile dans la lutte contre le tabac ?

La société civile doit œuvrer à la surveillance, au discrédit et à la dénonciation des manœuvres de l’industrie du tabac. Elle doit plaider auprès des autorités en faveur d’un changement politique. Elle peut fournir aussi un appui technique pour l’adoption et la mise en œuvre de politiques de lutte antitabac et sensibiliser le public sur ces politiques et sur les méfaits du tabagisme. L’ACTA a joué un rôle primordial sur le continent. Ses membres ont surveillé et dénoncé les stratégies de l’industrie du tabac et ont accompagné le processus d’élaboration, d’adoption et de mise en œuvre des lois et règlementations de lutte antitabac. Au Bénin, des plaidoyers, menés notamment par l’IECT (Initiative pour l’Education et le Contrôle du Tabagisme, membre de l’ACTA), ont permis l’adoption de la loi antitabac du pays en 2017. En Côte d’Ivoire, après une mobilisation de masse menée par l’ONG CLUCOD en 2017, le projet de loi sur la lutte antitabac a été revu, rendu conforme à la CCLAT, et soumis au Parlement pour débat et adoption.

8) Comment peut-on s’engager concrètement pour lutter contre le tabac ?

S’engager dans la lutte antitabac est une initiative personnelle. Le tabac est un problème, non seulement de santé mais de développement car il affecte toutes les composantes de la vie d’un peuple. Lorsque vous comprenez la gravité du problème et le fait que la lutte antitabac est la solution, vous pouvez vous en inspirer et y trouver les motivations pour vous engager.

 

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