Depuis une vingtaine d’années, l’affirmation fait plus ou moins consensus : l’Afrique est le continent du 21ème siècle. Une raison, notamment, permet de dresser cette conjecture : la démographie y est extrêmement forte. En effet, les Etats africains devraient voir leur nombre d’habitants doubler d’ici à 2050, d’un milliard à un peu plus de deux milliards — dont la moitié aura 25 ans. Des chiffres qui s’accompagnent également d’une problématique très précise : celle de l’accès aux denrées de première nécessité. Et plus particulièrement à l’eau. Un enjeu dont la première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Nouvian Ouattara, a bien conscience.
« Nerf de la guerre »
Aujourd’hui, déjà, la question se pose sérieusement. D’après le Conseil mondial de l’eau, environ 300 millions d’Africains n’ont pas accès à l’eau potable ; dans certains pays, moins de 50 % de la population y a droit, avec un service la plupart du temps discontinu ; et dans certaines villes, l’utilisation quotidienne reste inférieure à 20 litres, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise 20 à 50 litres d’eau saine par jour. Les Nations unies (ONU), de leur côté, estiment que trois emplois sur quatre dans le monde dépendent, directement ou indirectement, de la ressource en eau. Dans un rapport publié en mars 2016, l’organisation affirmait ainsi que « l’eau et les emplois sont inextricablement liés, que cela soit au niveau économique, environnemental ou social. »
« On a besoin de travailleurs pour garantir une gestion sûre de cette ressource et dans le même temps, l’eau génère de l’activité et améliore les conditions de travail » notait à cette occasion le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT) et président de l’ONU-Eau, Guy Ryder. « Si nous voulons que l’Agenda 2030 soit un succès et construire ensemble un avenir durable, nous devons faire en sorte que l’emploi dans le secteur de l’eau soit décent et que l’eau dont nous dépendons tous soit sûre ». Une déclaration qui peut sembler à des années-lumière de certaines préoccupations occidentales. Mais qui, chez les Africains, reçoit un écho soutenu. Et plus particulièrement en Afrique subsaharienne, où l’équation de l’eau reste l’une des plus difficiles à résoudre.
A certains endroits, les ressources annuelles ne permettent par exemple d’irriguer qu’environ 5 % des terres arables, alors que le volume moyen d’eaux souterraines estimé correspond à plus de cent fois la ressource annuelle en eau renouvelable et vingt fois la réserve en eau douce des lacs africains. Cette quantité serait suffisante pour alimenter en eau potable la population grâce à des pompes manuelles.
Problème : ces installations représentent un investissement difficilement supportable, à la fois en termes économiques et d’ingénierie. Un investissement pourtant nécessaire, non seulement pour la santé des populations, mais également pour leur cohésion.
En 2014, des affrontements avaient eu lieu entre groupes d’habitants de Yopougon-Micao, à l’ouest d’Abidjan (Côte d’Ivoire), à la suite d’une pénurie d’eau. Aucune victime à déplorer, mais un problème majeur souligné : cette ressource naturelle pourrait rapidement détrôner l’argent de son statut de véritable « nerf de la guerre ».
D’ailleurs, la problématique de l’accès à l’eau représente une source de conflits autant qu’elle peut en découler. Certains groupes rebelles, comme Boko Haram au Nigéria — et plus globalement dans toute la région du lac Tchad —, peuvent se servir de cette ressource comme d’une véritable arme politique. D’où l’importance de consacrer d’importants moyens pour renverser la tendance.
« Drinkable book »
Les autorités ivoiriennes ont ainsi entamé d’importants chantiers d’envergure pour renforcer l’alimentation des populations en eau potable. « Dans les deux prochaines années, tous les chefs-lieux de sous-préfectures ainsi que les villages de plus de 10 000 habitants auront un château d’eau et les chefs-lieux de département verront leur capacité de production d’eau potable renforcée » a annoncé Maurice Kouakou Bandaman, le ministre ivoirien de la Culture, qui s’exprimait à l’occasion de l’inauguration du château d’eau « Dominique Ouattara » de Koyékro, en septembre dernier. D’une capacité de 50 mètres cubes, l’installation doit mettre fin à l’anxiété des populations lors des saisons sèches, selon le souhait de la Première dame de Côte d’Ivoire, dont l’engagement et le soutien aux actions de développement sont anciens.
Devant le manque de soutien — financier la plupart du temps — des Etats, les actions individuelles comme celle de Dominique Nouvian Ouattara restent l’unique moyen pour l’approvisionnement en eau des territoires. « La volonté politique est énorme, selon Bruce Gordon, coordinateur de l’unité eau, assainissement, hygiène et santé de l’OMS. Les gouvernements reconnaissent l’urgence du problème et concilient budget intérieur et aides extérieures. Mais 75 % des avancées proviennent d’initiatives individuelles » reconnaît-il.
Ingénieurs et humanitaires se rassemblent par exemple autour d’une ambition très simple : fabriquer des systèmes d’assainissement simples et efficaces, qui soient maîtrisables par les populations locales sur le long terme. Les nouveautés technologiques en la matière, d’ailleurs, se multiplient.
L’an dernier, le Bénin et le Sénégal recevaient les premiers « Safe Water Cube » (ou « cube d’eau potable »), un système de filtration mis au point par un ingénieur nantais, Jean-Paul Augereau, hyperperformant et simple d’utilisation, destiné aux populations rurales, qui permet de filtrer les eaux de surface.
Il y a un an également, une ONG marocaine, Dar Si Hmad, développait un système pour récolter l’eau contenue dans le brouillard, grâce à de grands filets « essoreurs », et recevait le prix Elan des Nations unies pour le changement climatique. Aujourd’hui, l’eau récoltée permet d’alimenter cinq villages ; un projet de recherches en cours a pour but d’élargir cette cible et, pourquoi pas, d’étendre à d’autres Etats africains l’innovation.
En 2015, des chercheurs américains avaient mis au point, avec l’ONG Water is Life, un dispositif de filtration original et, surtout, accessible à tous. Un livre — littéralement — dont chaque page, une fois arrachée et placée dans une boîte rectangulaire, devient un filtre capable de fournir de l’eau potable, grâce à des nanoparticules d’argent ou de cuivre qui éliminent les bactéries présentes.
Un « Drinkable book » assurant la purification de l’eau nécessaire à une personne durant quatre ans, selon l’ONG. Pas de quoi tourner la page de l’accès à l’eau en Afrique pour autant. Le continent a besoin, plus que jamais, de l’innovation et, donc, de moyens. D’ici à 2050, ses besoins en eau vont doubler.